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Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires / CIRET

Basarab Nicolescu

 

LE PROJET MORAL (1987)

 

1.

Nous sommes témoins d'une révolution sans précédent engendrée

par la science fondamentale et tout particulièrement par la physique

et la biologie. Cette révolution bouleverse la logique, l'épistémologie

et la vie de tous les jours à travers les applications technologiques.

Il est essentiel de reconnaître l'existence d'un important décalage

entre la nouvelle vision du monde qui émerge de l'étude des

systèmes naturels et les valeurs qui prédominent encore en

philosophie, dans les sciences de l'homme et dans la vie de la

société moderne, valeurs fondées dans une large mesure sur le

déterminisme mécaniste, le positivisme ou le nihilisme.

Ce décalage est fortement nuisible et porteur de menaces de

destruction de notre espèce. Il convient de rechercher ses causes

profondes, de réfléchir aux éventuels remèdes et d'agir en conséquence.

2.  

Une des causes évidentes de ce décalage est la fragmentation des

connaissances. La spécialisation à outrance est certainement un "mal"

nécessaire, car elle favorise l'accélération du progrès de la

connaissance, mais elle mène en même temps à l'obscurcissement

du sens. D'une part, cette fragmentation conduit l'homme à se sentir

comme un étranger dans un monde envahi par une complexité

incompréhensible. D'autre part, elle détermine une rupture entre les

foyers de réflexion et de décision de la vie sociale. Les portes de

l'absurdité, du non-sens, de la violence et d'une dynamique

implacable d'autodestruction sont ainsi largement ouvertes.

 

Face à cette situation, il convient d'encourager par tous les moyens

possibles l'activité de recherche dans une nouvelle approche

scientifique et culturelle - la transdisciplinarité - dans sa tentative

de reconstituer une image cohérente du monde.

3.  

Il est important de distinguer avec soin la transdisciplinarité d'autres

activités apparemment très proches, sinon identiques, comme la

pluridisciplinarité, la multidiscipli-narité ou l'interdisciplinarité,

mais qui sont en fait, quant à leurs moyens et à leurs finalités,

radicalement différentes de la transdisciplinarité.

 

La transdisciplinarité n'est pas concernée par le simple transfert d'un

modèle d'une branche de la connaissance à une autre, mais par

l'étude des isomorphismes entre les différents domaines de la

connaissance. Autrement dit, la transdisciplinarité prend en compte

les conséquences d'un flux d'information circulant d'une branche de

la connaissance à une autre, permettant l'émergence de l'unité dans

la diversité et de la diversité par l'unité. Son objectif est de mettre à

nu la nature et les caractéristiques de ce flux d'information et sa tâche

prioritaire consiste en l'élaboration d'un nouveau langage, d'une

nouvelle logique, de nouveaux concepts pour permettre l'émergence

d'un véritable dialogue entre les spécialistes des différentes branches

de la connaissance.

4.  

De par sa propre nature, la transdisciplinarité refuse tout projet

globalisant, tout système fermé de pensée, toute utopie, tout

asservissement à une idéologie, à une religion, à un système

philosophique quels qu'ils soient. Sa finalité n'est pas l'unification

de toutes les branches de la connaissance, but qui serait absurde

et illusoire. Plus modestement, la transdisciplinarité essayera de

mieux nous rapprocher du réel, par l'étude conjointe de la nature

et de l'imaginaire, de l'univers et de l'homme pour nous permettre

de mieux faire face aux différents défis de notre époque.

5.

Le besoin de la transdisciplinarité se fait ressentir de plus en plus.

La preuve en est la multiplication des clubs de réflexion, des

colloques ou des livres qui touchent, de près ou de loin, au sujet de

la transdisciplinarité. Mais ces initiatives fort nécessaires ne peuvent

nullement remplacer une véritable activité de recherche, de longue

haleine, réunissant les meilleures compétences des différentes

branches de la connaissance et les plus qualifiées parmi celles qui

ont réfléchi à cette approche.

 

Il nous semble donc hautement souhaitable de créer un véritable

centre de recherche transdisciplinaire, qui pourrait devenir le lieu

privilégié de rencontre entre les spécialistes des différentes sciences

et ceux des autres domaines d'activité, en particulier les artistes, les

industriels et les spécialistes de l'éducation. Un tel centre de recherche

n'existe nulle part, ni en France, ni en Europe, ni dans le monde.

De caractère inévitablement international, ce centre aurait, de par sa

localisation et sa structure initiale, une réalité tout d'abord européenne.

 

Outre l'activité de recherche proprement dite, matérialisée par des

publications et des colloques, nous envisagerions l'organisation d'une

Conférence Internationale Annuelle, l'organisation régulière d'actions

médiatiques et la constitution d'une banque de données informatique.

 

Il est bien évident que le fonctionnement de ce Centre International

de Recherche et Études Transdisciplinaires demande certains moyens

d'ordre matériel et un minimum de structures (même si, pour être

fidèle à son orientation, il doit miser sur son auto-organisation).

6.  

La connaissance scientifique, de par son propre mouvement interne,

est arrivée aux confins où elle doit reprendre un dialogue actif et

fructueux avec d'autres formes de connaissance. Fondé sur l'esprit de

rigueur scientifique, l'activité du Centre International de Recherche et

Études Transdisciplinaires permettra l'avènement d'un échange

dynamique entre les sciences exactes, les sciences humaines, l'art et la tradition.

 

Tout en reconnaissant comme axe principal de son activité la

recherche fondamentale, le Centre International de Recherche et

Études Transdisciplinaires sera largement ouvert vers la vie sociale.

Une attention particulière sera consacrée à la recherche de nouvelles

méthodes d'éducation afin de surmonter la rupture entre la science

contemporaine et les visions dépassées du monde. A long terme,

la création d'une université transdisciplinaire serait envisageable.

7.

Les avancées de la science moderne laissent présager la naissance

d'une nouvelle rationalité, infiniment plus riche que celle qui nous a

été léguée par l'espérance scientiste du XIXe siècle. La création d'un

Centre Internaional de Recherche et Études Transdisciplinaires

pourrait apporter une contribution importante à l'avènement de cette

nouvelle rationalité.

 

 

 

Basarab Nicolescu 1987

Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires / CIRET

http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/projfr.htm

http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/

E-mail : nicol@club-internet.fr

 

 

 

 

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International Center for Transdisciplinary Research /CIRET

Basarab Nicolescu

 

MORAL PROJECT (1987)

 

1.  

We are witnessing an unprecedented revolution engendered by the

fundamental sciences and in particular by physics and biology.

This revolution is overturning conventional ideas of logic,

espistemology and day to day life as a consequence of ist

technological developments. It is vital to recognize the existence of

a considerable discrepancy between the new vision of the world which

is emerging from the study of natural systems and the values which

predominate in the social sciences and in the life of modern society;

values based, to a large extent, upon mechanical determinism,

positivism or nihilism. This discrepancy is extremely harmful and

harbours the threat of destruction of our species. It is essential to

seek the underlying causes, to reflect upon possible remedies and

to try to put these into operation.

2.

One of the obvious causes of this discrepancy is the fragmentation of

knowledge. Extreme specialisation is a necessary evil since it helps to

accelerate the acquisition of knowledge, but it leads, at the same

time, to a darkening of meaning. On the one hand the fragmentation

leads man to see himself as a stranger in a world invaded by an

incomprehensible complexity. On the other hand it causes a rupture

between the organs of reflexion and those of decision-making in

society. Thereby are thrown open the doors to absurdity, to non-

sense, to violence and to implacable dynamic of self-destruction.

 

Faced with this situation it is vital to encourage, in every possible way,

research activity into a new scientific and cultural approach

- transdisciplinarity - in an attempt to reconstitute a coherent

picture of the world.

3.

It is important to distinguish carefully between transdisciplinarity

and other activities seemingly very similar if not identical, such as

pluridisciplinarity, multidisciplinarity and interdisciplinarity, but which,

in fact, by virtue of their methods and goals, are radically different

from transdisciplinarity.

 

Transdisciplinarity is not concerned with the simple transfer of a model

from one branch of knowledge to another, but rather with the study of

isomorphisms between the different domains of knowledge. To put it

another way, transdisciplinarity takes into account the consequences

of a flow of information circulating between the various branches of

knowledge, permitting the emergence of unity amidst the diversity

and diversity through the unity. Its objective is to lay bare the nature

and characteristics of this flow of information and its principal task is

the elaboration of a new language, a new logic, and new concepts to

permit the emergence of a real dialogue between the specialists in the

different domains of knowledge.

4.

By its very nature, transdisciplinarity rejects all globalising projects,

all closed systems of thought, utopian ideas, any enslavement to an

ideology, religion or philosophical system no matter what. Its aim is

not the unification of all branches of knowledge; a goal that would be

absurd and illusory. More modestly, transdisciplinarity will try to bring

us closer to reality by the linked study of nature, the imaginary, the

universe and man, so as to permit us better to meet the challenges

of our epoch.

5.

The need for transdisciplinarity is making itself felt more and more.

Witness the mushrooming of intellectual clubs, colloquia and books

which touch, more or less, upon the subject of transdisciplinarity. But

these initiatives, important as they may be, cannot at all replace a

real, long-term research effort, uniting the most competent specialists

for each domain of knowledge and the best qualified amongst those

who have reflected upon this approach.

 

It thus seems very desirable to us to create a genuin centre for

transdisciplinarity research, which could become the special meeting-

place for specialists from the different sciences and for those from

other domains of activity, especially artists, industrialists and

educational specialists. Such a centre for research does not exist

anywhere, neither in France, nor Europe nor the entire world.

Ultimately international in character, this centre, by virtue of its

geographical position and its initial structure, would, to start with,

have an european flavour.

 

Besides the defined research activity, materialising in publications and

colloquia, we envisage organising an Annual International Conference,

regular press briefings, and the setting up of an information bank.

 

It is clear that the functioning of such an International Centre for

Transdisciplinary Studies and Research will demand certain material

resources, and a minimum of structural organisation (even though,

to be faithful to its one tenets, it ought to aim for self-organisation).

6.

Scientific knowledge, as a consequence of its own internal

development, has arrived at a stage where it ought reestablish

an active dialogue with other forms of knowledge. Founded on a

spirit of scientific rigour the activity of the International Centre for

Transdisciplinary Studies and Research will encourage the

establishment of a dynamic exchange between the exact sciences,

the social sciences and art and tradition.

 

While recognizing its principal role as the furthering of fundamental

research, the International Centre for Transdisciplinary Studies and

Research will keep an open interest in society. Special attention will

be given to research into new methods of education aimed at

surmounting the rupture between contemporary science and the

outmoded images of the world. In the long term it is possible to

envisage the creation of a "Transdisciplinary University".

7.

The advances in modern science lead one to forsee the birth of a new

rationality, infinitely richer than that bequeathed to us by the scientific

hopes of the 19th century. The creation of an International Centre for

Transdisciplinary Studies and Research could help greatly towards the

advent of this new rationality.

 

 

 

 

Basarab Nicolescu 1987

Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires / CIRET

http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/projfr.htm

http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/

E-mail : nicol@club-internet.fr

 

 

 

 

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